Paracelse, dit Armel Guerne, fut un « solitaire crieur », un de ces hommes, qui, comme Léon Bloy, mais autrement que lui, n’ont cessé de vilipender leurs contemporains. Il mena sa vie durant une guerre à outrance (verbale) contre la médecine de son temps et les médecins qui la pratiquaient avec une suffisance insupportable pour lui. Aussi lui fut-il reproché un orgueil démesuré : « Ne souffrez pas, disait-il, d'être contredits par les médecins ignorants qui s'habillent de rouge et de noir ». Cependant, ce serait fortement limiter la portée de son œuvre que de s’en tenir aux rapports qu’il entretint avec ces derniers. D’ailleurs, c’est parce qu’il estimait que « le médecin doit être le plus élevé parmi les hommes, le meilleur, le plus expert dans toutes les parties de la philosophie, de la physique et de l’alchimie, et [qu’il] ne doit, en aucune, se trouver en défaut », qu’il s’est élevé avec tant de force, et parfois non sans humour, contre les médecins établis, tandis qu’il rechercha la connaissance médicale, chez les paysans, les bohémiens, et peut-être les sorciers.
La personnalité de Paracelse ne pouvait que séduire Armel Guerne. Voici un homme qui, quelque 400 cents ans avant lui, avec un génie qui lui était propre, appliqua à la lettre une devise déjà fière : Alterius non sit qui suus esse potest - « Qu’il n’appartienne à personne, celui qui peut être lui-même ». Voici un homme, passé à la postérité, dont la vie et l’œuvre continuent à être controversées quatre siècles plus tard, comme elles le furent de son vivant. Voici un homme, enfin, que la passion de la liberté conduisit à mener une existence vagabonde, - mais c’était celle d’un adepte, - qui lui fut reprochée également : « On me méprise, dira-t-il, parce que de ma vie je n'ai jamais eu de domicile fixe, parce que je ne me suis pas contenté de rester assis derrière le poêle à rôtir des poires ».
Plus intimement encore, Armel Guerne avait le sentiment d’appartenir à la même famille d’esprits que lui. Il l’affirme dans un de ses Fragments : « Est-ce ma faute ? Quoi que je pense, Paracelse l’a déjà pensé (ou Novalis, ou Bernanos, ou tel autre – les familles d’esprits) » (Fragments, 71).
L’homme, pour Armel Guerne comme pour Paracelse, est « l’astronome de Dieu ». Il ne saurait s’agir de l’homme moderne, passé au crible de la psychanalyse. Sur ce point, Armel Guerne est formel, et la référence à Paracelse prend toute sa dimension :
Oh ! le divin Paracelse quand il écrit, au début du XVIe siècle : « Heureux celui qui possède une grande marmite et qui a un couvercle pesant. »
Je suis certain, et le sérieux de mon contrôle lui donne assez de force pour affirmer ma certitude même si j’étais seul à la face du monde occidental, ce qui n’est malgré tout pas encore le cas : je suis certain que Freud et la psychanalyse ont déjà fait plus de mal au contenu de l’homme, à sa nature profonde, que ne pourra jamais faire une science atomique qui a cependant déjà accumulé et mis en réserve, à l’heure actuelle, de quoi tuer onze fois chaque habitant de la terre (Fragments, 20).
L’homme selon Paracelse a un contenu, comme dit Armel Guerne, et une « nature profonde ». Déjà, à son époque, le plus grand nombre paraissait l’ignorer - « Les hommes sont ignorants, écrit-il. Ils ne connaissent pas la nature, ni terrestre, ni sidérale. Ils ne savent pas à quoi elle nous dispose. De Dieu, ils ne savent rien non plus. » Désormais, c’est l’accès même à la connaissance de cette « nature profonde » qui nous est interdite. Rien ne paraît plus actuel que cette réflexion : « Nous prétendons détenir la vérité, mais c’est de nous-mêmes que nous la tirons, alors que seule la lumière de la nature pourrait nous l’apporter. » Mais qui se soucie de la « lumière de la nature » ? La science moderne s’en est détournée depuis Paracelse justement, et si la science antique en avait eu connaissance, de son temps, elle n’intéressait plus que les alchimistes (les vrais), les astrologues (les vrais) et quelques rares philosophes.
Paracelse marque le commencement et le terme d’une démarche scientifique qui ne cessera pas de lui appartenir, mais qui aussi reste unique : « L’homme n’est véritablement homme que parce qu’il est le firmament. Ce ne sont ni les bras ni les jambes qui font l’homme, mais bien les sciences et les arts que lui enseigne la lumière de la nature. »
Armel Guerne souhaitait rendre accessible l’œuvre de Paracelse au lecteur français. Il pensait que les temps étaient venus qu’il en mesure toute l’actualité. On sait qu’en 1941 il avait fait une demande de subvention pour une traduction, que cette demande pourtant soutenue par Emile Bréhier et Gaston Bachelard, avait été finalement refusée par Jérôme Carcopino, ministre. Il faut relire cet extrait de son Journal pour mesurer à quelle hauteur il plaçait son ambition : « La parution en français, des œuvres de Paracelse, doit changer le sens de la culture spirituelle française penchée stérilement sur des réalisations d’analyse étrangère au cœur comme à l’esprit, desséchée par des siècles de rationalisme imbécile et orgueilleux, sans fierté. Elle doit réveiller en des cœurs inattendus le goût des températures extrêmes, l’horreur évangélique de la tiédeur, de la moiteur, de la timidité et de la lâcheté d’esprit, réveiller l’appétit du mystère divin, reposer immensément, l’immense problème métaphysique dont l’homme est devenu incapable de s’inquiéter, et offrir aux audaces justifiées et aux courages admirables de larges voies de découvertes et d’exploration, des patries entières qu’on était devenu trop petit pour habiter. » (25 décembre 1941).
Armel Guerne a aimé sans aucun doute Paracelse – comme en témoigne sa Préface à la Prognostication. C’est parce qu’il avait reconnu en lui « un caractère droit et franc et qui va droit et franchement ». C’est aussi, dira-t-il, qu’« à longuement lire et méditer et vivre avec cet homme qu’on a peine à mettre seulement au rang des plus grands – ne serait-on sensible qu’à la beauté, à sa puissance nécessaire et à son pouvoir révélateur – on est petit à petit déposé au commencement de soi-même, mis au pied de soi-même comme au pied du mur, devant un monde vivant et vrai, qui ne se dément point, ce qui est peut-être, après tout, le sens véritable de l’initiation. »