Avec la réédition des Romantiques allemands, l’occasion se présente, une fois de plus, de souligner les éminentes qualités de traducteur d’Armel Guerne.
Traduire une œuvre, s’il s’agit d’une œuvre véritable, n’est pas une entreprise à la portée de tous. Aucun diplôme, a priori, n’y autorise quiconque. Pour traduire, en effet, il faut un don. Outre des affinités profondes, une similitude de vue, un même niveau spirituel – sinon intellectuel, outre des aspirations secrètes en résonance sympathique, une connaissance magistrale de tout le registre de son propre idiome, il faut ce quelque chose qui ne s’apprend nulle part et qui fait qu’on entre de plain-pied dans la pensée d’un autre.
Le « démontage » d’une langue et son « remontage » dans une structure étrangère dont la vocation est forcément différente n’est pas qu’une simple opération de l’intelligence. L’intelligence n’est, ne sera jamais qu’un serviteur ; ou si l’on veut, un outil. A elle seule, elle ne peut répondre aux exigences spirituelles nécessaire à la traduction. Et c’est là qu’intervient le don.
Car s’il faut un don pour écrire – pour écrire bien s’entend – il en faut un pour traduire. Chaque langue possède son génie propre. Son souffle particulier. Ses rythmes spécifiques. Ses formes incantatoires. Sa couleur. Ses lignes mélodiques. Mais toutes ont leur origine dans le Verbe. C’est pourquoi la traduction est avant tout un acte spirituel.
Et c’est ainsi que l’entendait Guerne.
Bien des textes, évidemment, n’ont nul besoin de semblables dispositions. Ces textes-là sont multitude. Mais lorsqu’il s’agit d’une production capitale, nécessaire à une époque, indispensable à son rétablissement, alors survient celui qui devait venir pour lui donner une autre vie, dans un autre vocabulaire. Dans le temps qui convient aussi. Un temps secret qui n’obéit pas aux mêmes lois que celui des horloges : un temps vivant à l’intérieur duquel s’opèrent les choses divines et que n’entendent pas les hommes distraits. Ce temps – est-il besoin de le préciser ? – n’est jamais le fruit du hasard.
Guerne le savait bien. Ecrire, traduire, c’était pour lui une seule et même mission. Un ministère. Comme celui d’un prêtre. Pour la plus grande gloire de l’esprit. Sachant bien toutefois, en ce qui le concernait, que son labeur demeurerait clandestin ; que la masse des hommes y resterait sourde. Mais il n’importe ! « On a le droit de désespérer d’un temps, écrivait-il, si l’Espérance est plus forte. » Or les travaux de l’esprit n’ont jamais été réalisés que sous l’invisible pression de l’Espérance. Celle pour laquelle le monde est en marche. Malgré tout !