Ces quelques hommes et femmes auxquels l’Histoire a donné le nom de Romantiques allemands, furent parmi les derniers à dénoncer l’imminence du drame que les années à venir allaient connaître.
Dans le même temps que Novalis tentait de rassembler tout ce qui pourrait encore sauver les derniers vestiges de l’âme européenne, de l’autre côté de l’Atlantique, une race entière dont on avait volé la raison d’être en lui prenant sa terre disparaissait, anéantie, criant au ciel son désespoir et maudissant les artisans de son malheur. Les « Peaux-Rouges », car c’est d’eux qu’il s’agit, avaient dit par le truchement de leurs interprètes : « L’homme blanc détruit tout ce qu’il touche. » Chez eux, en effet, lorsqu’on les découvrit, rien n’existait qui fût profane quand chez nous – leurs « civilisateurs » – l’attention tout entière s’était déjà irréversiblement tournée vers cette philosophie du déshonneur qu’on allait habiller du nom d’utilitarisme et selon laquelle rien ne compte que le nombre, la quantité, la production et l’appropriation dans l’irrespect le plus total de la Nature et le mépris de ses lois – irréfragables jusqu’alors.
L’assourdissant concert de notre équivoque progrès ne nous laissera plus bientôt la moindre place pour la plus élémentaire MAIS indispensable prière, avalés que nous sommes par la horde enragée des démons ricanants de la publicité, de l’insolence, de l’impudeur, de l’impiété ; expulsés de nous-mêmes par le bruit et l’image du tout-puissant écran et distraits, jusqu’au vertige, par sa logorrhée fallacieuse.
Alors, on peut se demander sans sourire : que restera-t-il de nous, dans quelques décennies, si la hâte se hâte encore à tout vider de ce qui fit le fondement de nos pays ? Qui osera se dresser contre ce monde désorbité, impaisible et cruel sous la grimace humanitaire ? Les Romantiques l’ont fait, tentant de réveiller l’univers des esprits pour que l’Esprit survive ; que le sacré habite encore le cœur et la parole et le geste de l’homme. Mais aujourd’hui, quelle heure est-il au cadran de nos destinées ? Et qui, dans les fracas dérisoires de « l’actualité » désormais souveraine, l’entendra sonner ?