Du côté de l'Âge d'or
On a beau célébrer Gœthe, en profitant de toutes Ies occasions qui se présentent, j’ai l’impression que cet enthousiasme est un peu de commande, qu’on se bat les flancs pour se mettre dans la transe d’admiration exigée, bref que le cœur n’y est pas.
Alors que, quand on parle d’Hölderlin, de ce pauvre Hölderlin de l’existence duquel Gœthe précisément semblait à peine s’apercevoir, le ton change, devient plus personnel, plus vivant. Plus ému surtout.
Au fait, pourquoi ?
Je me le suis souvent demandé, et en particulier depuis que j’ai lu ses Hymnes, élégies et autres poèmes dans leur récente traduction. Entreprise vraiment prométhéenne, à laquelle M. Armel Guerne n’a pas craint de s’attaquer. (Ne lui mesurons pas notre gratitude.)
Eh bien ! je crois avoir trouvé la réponse à cette question. Et la voici.
Bien entendu, sous toutes réserves. Ce n’est qu’une opinion.
Il y a dans l’œuvre d’Hölderlin quelque chose qui rappelle l’âge d’or. Une nostalgie optimiste de cette époque fabuleuse. Nous l’avons aussi, cette nostalgie, mais empreinte d’une amertume presque désespérée, en tout cas négatrice. Alors que lui, Hölderlin, il y croit, et il croit aux Immortels, à leur présence parmi nous. Il est confiant, il s’en remet à eux, il les invoque. Il les retrouve dans la nature, il les y voit. Qu’ils soient les symboles des forces cosmiques ne représente qu’une notion pour les exégètes de l’antiquité, mais pour lui c’est une réalité vécue, quotidiennement éprouvée. Il leur parle, éprouve leurs influx, et, grâce à cette certitude intime, il a vraiment le sens de la joie.
Au fond, et quel que soit notre agnosticisme, nous sommes persuadés qu’il a raison et nous vénérons en lui (à notre insu) un état de bonheur édenien que nous ne nous sentons plus ni le courage de rechercher ni même l’ingénuité de penser qu’il existe. Le paradis est vraiment perdu.
Le plus terrible de tout cela, c’est que, persuadés que nous sommes devenus de la malveillance des forces, des dieux, il nous arrive de croire que peut-être — cette fois-là comme toutes les autres — ils ont puni celui qui les approchait, qui voulait se confondre en eux. Innocent Hölderlin !… À côté de cette ferveur, de cet abandon, que la sagesse d’un Goethe paraît froide, loin de nous !
Qui sait de quel élan du cœur refoulé, repoussé, Prométhée avait fait précéder sa révolte ? Il gémit sur le Caucase, avec des cris à ébranler 1’Olympe. Hölderlin était trop pur, trop doux, pour même se plaindre. C’est tout de même un Titan.
Francis de Miomandre, Nouvelles littéraires, juin 1950