N°2 - avril 2003 - Les Jours de l'Apocalypse
N°2 - avril 2003 - Les Jours de l'Apocalypse thomasÉditorial (Charles Le Brun)
Éditorial (Charles Le Brun) thomasLe premier Livre des Métamorphoses d'Ovide est en partie consacré au récit de la création de l'univers. Au second chapitre, on apprend que la durée des jours de la terre se divise en quatre périodes : l'Âge d'Or d'abord, celui de la vérité, de la justice, de la vertu, sans contrainte pour la race humaine ; puis l'Âge d'Argent, déjà soumis aux lois de la nature, aux morsures des saisons, aux décrets du temps ; vient ensuite vint l'Âge d'Airain, pourvoyeur d'armes, instigateur de guerres, assoiffé de sang mais loyal encore ; l'Âge de Fer enfin où le crime et le désordre règnent dans une impunité toujours plus élargie. Ce dernier âge, selon les données de l'ésotérisme, correspond à celui dans lequel entrèrent les hommes, il y a quelque six mille ans, et qui, selon les écrits de toutes les grandes traditions, doit s'achever vers l'an 2030.
Déjà, huit cents ans plus tôt, Hésiode en avait esquissé une fresque saisissante dans Les Travaux et les jours, faisant écho aux grandes prophéties de l'Inde ancienne relatives à l'Âge de Kali ou Âge sombre (1): le Kali-Yuga. La Bible, elle aussi, d'une manière à peine voilée, avait évoqué cette succession des temps dans le Songe de Nabuchodonosor : c'est l'histoire fameuse du Colosse aux pieds d'argile (2). Les anciennes populations d'Extrême-Orient, tout comme les Indiens d'Amérique du Nord ou ceux d'Amérique latine, connurent de même, en leur temps, cette division quaternaire que les limites de cet éditorial, malheureusement, ne nous permettent pas d'aborder en profondeur (3).
Si nous avons parlé des âges de l'humanité et plus particulièrement de l'Âge de Fer, c'est que ce dernier nous renvoie directement au thème de ce Cahier : l'aboutissement de l'histoire des hommes. Son terme. Autrement dit la « fin du monde », cette Apocalypse dont Armel Guerne aura été, tout au long de son existence et avec une insistance toujours plus pressante, l'un des porte-parole autorisés.
Son œuvre poétique, en effet, tout entière tournée vers le Grand Jour, n'enseigne pas autre chose. Au point qu'en ce qui le concerne, on peut risquer le mot de vocation (vocatus : appelé). Chez lui, la poésie n'est plus un ornement : elle est une arme. Celle des derniers combats. Parce que, comme il l'affirme, il n'est plus temps de perdre son temps à d'autres occupations comme c'est le cas de bien des auteurs, tous plus inutiles les uns que les autres et qui n'ont d'autre but que celui d'asseoir le néant de leur futile personne – les zombies, comme il les appelait.
Guerne, à l'évidence, ne partageait pas ce pain-là. Il s'appliquait à autre chose. Il n'est que de lire, pêle-mêle, les titres de ses livres : Mythologie de l'Homme ; Danse des morts; Le Temps des signes ; Testament de la perdition ; Les Jours de l'Apocalypse ; Rhapsodie des fins dernières. Ou encore : La Cathédrale des douleurs ; Au-dessous du niveau de l'enfer ; A Contre monde ; Temps coupable ; Au bout du temps.
L'ensemble est éloquent. Et situe l'homme. Un homme vrai. Sans manières. Sans duplicité. Sans pose. Eprouvé. Epuré. Comme un minerai débarrassé de ses scories et qui surgit, dans sa simplicité originelle, après être passé et repassé à la flamme du réverbère. Ceux qui l'ont connu le savent bien. Et ceux qui l'ont aimé mieux encore.
L'Apocalypse, comme il le répétait souvent, est commencée. Ses effets se sont déjà fait sentir dans des guerres dont l'ampleur dépasse l'imagination. Dans des sciences dont personne ne contrôle plus l'expansion. Dans la complexité toujours croissante des basses manœuvres politiques, économiques, financières et sociales. Dans le recul général de la vertu et des valeurs sur lesquelles reposait le passé tout entier ; valeurs qu'on s'applique minutieusement à éradiquer et qui ne seront plus remplacées si ce n'est par celle qui, partout, doit s'imposer dans les derniers jours du monde : l'argent – le Veau d'or – marqué, comme l'a écrit saint Jean, du signe de la Bête et de son chiffre.
- Notamment le Bhâgavata Purana, livre XII.retour
- Daniel II, 31 à 46.retour
- A ceux qui voudraient en apprendre plus, nous conseillons la lecture des ouvrages de René Guénon et de Gaston Georgel. Entre autres.retour
Factum est (Armel Guerne)
Factum est (Armel Guerne) thomasCe texte, inédit à ce jour (11 janvier 2003), devait s'insérer dans Les Jours de l'Apocalypse (voir lettre au père Nesmy du 20 février 1967 : « Je comptais, de mon côté, supprimer purement et simplement la prose de III, "Factus est" […]. Personnellement, je n'aime pas cette prose (Factus est) qui a pris un ton moins ample que les autres et qui ne me paraît pas indispensable »). Au sujet de Factus est, voir aussi la lettre au même du 20 juin 1967. Guerne y rétablit l'orthographe véritable qui est Factum est, erreur corrigée de sa main dans le titre du tapuscrit, mais oubliée à la dernière ligne.
Il est peut-être là, ce singulier retard qui nous force à courir pour rattraper un temps que nous perdons de plus en plus, qui nous échappe dans sa hâte à se concrétiser, dans sa précipitation en fait, – l'avenir n'étant plus pour nous une chair historique depuis qu'il n'est plus vocation, appel – il est peut-être là, dans cette confusion atroce que nous avons faite entre la liberté et le salut ; dans cette parodie infernale du salut, à laquelle nous nous sommes livrés au nom de la liberté. Cette liberté qui a cessé, d'un coup, d'être la nôtre pour devenir celle des forces anonymes et brutales, depuis longtemps arc-boutées contre la faible digue de conscience qui nous en séparait : les légions pour lesquelles la réalité que nous avons réalisée représente le ciel ; et tous les vides que nous laissons en nous, au lieu d'y être, un paradis ! L'urgence même qui nous presse, sa vérité immense est que, dès à présent, elle pourrait s'être dépassée à force de se devancer, au point que plus jamais ici-bas elle ne sera rejointe. Tels des rats qui se multiplient étrangement avant une catastrophe qu'aucun ne prévoyait, mais dont la race seule, en dehors des individus, avait le sûr pressentiment : ainsi l'humanité, soudain, se multiplie désespérément dans ses progénitures et se met étrangement à surpeupler la terre qui ne lui donne plus assez à boire, ni assez à manger ; une terre qui s'épuise soudain par l'abus de ses nouvelles populations voraces et sans amour. Comme si la race, au niveau de sa viande, cherchait aveuglément à se sauver quand les individus, au niveau de leur cœur et dans l'abêtissement de leur esprit, n'ont cure de leur salut.
Or, tout est beaucoup plus urgent encore qu'il n'y paraît, parce que tout est fini où la réalité commence ; et le temps que nous y avons, ce présent que nous y recevons et que nous ne savons plus retenir, qui est déjà passé quand nous le regardons (obsédés par « l'actualité » qui nous tire obstinément du côté des « faits ») est véritablement un temps mort, accompli, inutilisable ailleurs que sur les inertes registres de l'histoire ou de l'information, laquelle ne nous arrive et ne nous renseigne jamais que par derrière, aussi rapide que soit la dépêche. Le temps vivant, le temps vrai, celui où s'accomplit la chimie spirituelle de toutes choses selon leur vérité entière, devance et commande la précipitation qui les solidifie et qui les cristallise au sein de notre épaisseur, qui les y fixe et les laisse fixées. La religion du « fait » (déjà fait quand il nous arrive, et qui n'a plus qu'à se défaire) c'est la religion de la mort ; et elle couvre la terre à présent. Quel est celui qui la dénonce dans son instinct ? Qui la renonce dans son cœur ?
Un peintre peut sans doute chercher à remonter dans la lumière vers les sources du feu, à la saisir dans sa réalité même, avant cette « réalité » qui naît de sa seule réfraction et qui ne mène à rien, ayant son commencement et sa fin au point d'impact de la Chute. Le musicien devrait aussi ausculter le silence et nous le rendre harmonieux, bienfaisant, dangereux, puissant comme il peut l'être, car les hommes l'ont empoisonné, tué dans leurs oreilles qui ne commencent « réellement » à entendre que le bruit, finissant d'écouter où il cesse. Le poète peut encore aujourd'hui (mais pour combien de temps, quand les langues se meurent ?) chercher à pénétrer l'intelligence du langage pour éveiller la sienne, entendre ce que dit le mystère du Verbe et de ses trois personnes dans sa vérité. Mais ces hommes qui sont seuls, on peut en être sûr, ne se réclameront pas de leur solitude aux yeux des autres, de tous les autres qui se réclament de leur nombre ! Ils auront néanmoins été tous trois chercher la réalité en passant par le ciel, voilà ce qu'il faut dire ; et chacun d'eux aura été, dans cette solitude, le seul présent au présent de son temps, parfaitement et douloureusement comblé dans son génie. Comprendre ou savoir : tout est là. L'artiste ne sait pas : il aime.
Le saint, lui, dans son parfait amour, cherche la loi à laquelle obéir ; il trouve la joie par-dessus toutes joies : la vie au vif. Par contre, le savant ne cherche que des lois auxquelles commander ; et tous s'en félicitent parce que dès qu'il les a trouvées, n'importe qui, à sa place, peut appuyer sur le bouton. Rien à dire à cela, sinon qu'il faut qu'une civilisation en arrive au terme de sa déchéance pour abandonner aussi délibérément la connaissance au profit des savoirs, infiniment plus démonstratifs puisqu'ils se traduisent aussitôt en savoir-faire, particulièrement savants dans les domaines fastueux de la mort, où nous pouvons déjà les voir d'une efficacité si grandiose qu'on n'ose même plus en envisager l'expérience. Naguère on s'en servait pour faire la guerre, hélas ! Demain on fera la guerre pour s'en servir. Est-ce assez simple ? Personne ne vit aujourd'hui sans multiplier en soi, autour de soi, devant et derrière, dessus et dessous, toute une foule cohérente de mensonges inavouables et de complicités inavouées, rien que pour parvenir à n'y pas penser. Tout ce travail énorme, cette besogne de tous les instants, alors qu'il serait si facile, au contraire, de penser justement à la chose exemplaire ! Ce n'est pas la réalité humaine : c'est la Face de Dieu qu'il est impossible à un vivant de contempler en face ! La réalité n'existe que pour cela, au contraire ; et quel que soit le nombre de ses masques, nous sommes là, nous, pour la dévisager. Celui qui la quitte des yeux est déjà mort ; et celui qui prétend s'en distraire est plus que mort : il est damné.
Ce monde noir, monstrueux, menaçant, ce possédé dans sa possession auquel il ne reste, visiblement, plus qu'une guerre ultime à faire, universelle enfin, et qui sera faite au nom de la paix pour le ravage des continents, dans une apothéose du mensonge qui deviendra la vérité par-dessus lui ; ce monde moderne qui a répandu le sang et le feu comme jamais les pires barbaries ne l'avaient fait, utilisant au surplus les rares intermittences pour oublier ses horreurs avec une froide promptitude qui glacerait même la mort : ce monde et son humanité, qui les maudira ? Ils sont là pour nous apprendre qui nous sommes et où nous en sommes. Bénis soient-ils ! Car ceux qui ont les yeux sur ce spectacle et qui en sont séduits, tant pis pour eux : ils iront avec ce qui leur ressemble. Reconnaître sa lâcheté est souvent d'un courage plus grand que le courage lui-même ; – mais quoi de plus facile ? L'âme la plus endormie se réveille merveilleusement aussitôt qu'on l'appelle ; et il n'y a personne au monde, quoi qu'il puisse dire ou faire, qui se plaise vraiment dans sa veulerie. On est mieux dans l'honnêteté.
Telle est la réalité humaine et telles sont les pentes de la grâce : c'est au-dedans de soi qu'on a le plus besoin, et donc véritablement envie de se dépasser ou de se rejoindre ; celui qui projette au-dehors et attend du dehors sa réussite ou son bonheur, surtout s'il y réussit, se prend à un simulacre dont il ne ressentira jamais, au fond de soi, que l'écœurante fadeur : une déception proprement diabolique parce qu'elle est inavouable, parce qu'il est toujours trop tard pour l'admettre et qu'il y a déjà beaucoup trop de choses habituelles auxquelles il faudrait renoncer. On ne peut plus. Et pourtant, oui, pourtant, de même que le mensonge engendre naturellement le mensonge et le multiplie à l'infini pour se soutenir, le plus timide, le plus hésitant premier mouvement de sincérité élargit surnaturellement l'ouverture à la vérité et mobilise derrière elle, avec elle et pour elle, toutes les forces et tous les héroïsmes d'une humanité retrouvée, inentamable dans son pouvoir et miraculeusement inentamée dans sa simplicité naturelle. Il n'est que d'essayer. C'est incroyable ce que le pas d'un homme peut changer et s'affermir, quand pourtant il croyait savoir si bien marcher auparavant, dès l'instant qu'il sait, non pas où aller, mais seulement qu'il s'était trompé de chemin. Mais attention ! il faut marcher : cela n'arrive pas aux gens qui se déplacent en voiture. L'automobile, par définition, ne s'arrête pas quand il faut ; si elle ne continue pas tout bonnement sa route pour garder la moyenne, le temps de freiner, elle est déjà trop loin. Ainsi les intellectuels, qui ne réfléchissent qu'en se faisant véhiculer leurs pensées ! L'expérience est un or qui n'a cours qu'à l'intérieur de la peau, où habitent de grands mystères, sous les arches de la méditation. Et ne venez pas dire que les machines nous trompent ! Il n'y a pas de mécanique capable de mentir ; il n'y a que nous, qui les servons dans notre idolâtrie et qui abdiquons devant elles, parce que ce sont elles qui nous servent le mieux à nous mentir à nous-mêmes. Tout est là. Ce n'est pas la manifestation d'une mauvaise conscience qui multiplie les « prodiges » de la technique, non ! c'est la recherche forcenée d'un mauvais alibi, qui ne nous convainc pourtant pas nous-mêmes ; qui ne peut donc convaincre notre juge que de notre culpabilité.
Il est quand même plus simple d'ouvrir les yeux sur le simple miracle de la vie que nous portons en nous, d'entrer dans son mystère, que de chercher à tout prix à le fuir dans l'émerveillement compliqué de sa sinistre parodie. L'homme a suffisamment et assez diversement vécu pour qu'on sache bien qu'il n'y a pas un atome dans la création, dont il puisse se dire le créateur. Quel que puisse être son génie, il n'est jamais l'inventeur que de ce qui est : celui qui va au-devant et qui découvre ce qu'il y avait là. Tout dépend donc de ce qu'il cherche ; et c'est pourquoi notre honte est si grande ! Et c'est pourquoi nous tenons tant à nous la camoufler. N'importe quoi vaut mieux, les espoirs imbéciles ou le désespoir plus imbécile encore, n'importe quoi, plutôt que l'aveu pur et simple de ce sentiment-là, parfaitement universel, et la reconnaissance vivifiante, rafraîchissante, véritable, de la faillite que nous sommes en train de parachever dans son désastre, quand Adam n'avait pu que la commencer, pour nous rendre enfin à ce que nous sommes essentiellement.
Avoir honte de cette honte-là, de nos jours, et refuser à cause d'elle l'évidence libératrice et son éblouissante approche, c'est aussi bête que d'avoir honte de sa mort, – s'il a jamais été permis à un humain d'être assez orgueilleux pour se faire ce sentiment-là ! s'il a jamais été possible à un orgueilleux de se mentir à ce point pour essayer d'échapper à sa peur.
La peur, mais oui, la peur, celle que nous mangeons avec notre pain de chaque jour ; la peur, qui est à présent dans nos chairs épaissies cet aiguillon de l'âme que la crainte de Dieu, il n'y a pas très longtemps, suffisait encore à aiguiser. « No pro mundo rogo ! » Ce n'est pas pour le monde que je prie, a annoncé le Verbe : et lorsque nous osons répéter avec Lui les paroles de Sa Parole en demandant à Dieu que Son règne arrive et que Sa volonté soit faite sur la terre, c'est à l'heure de l'Accomplissement que chacun de ceux qui se sont risqués à les dire, ces paroles absolues, doit répondre du sérieux de ses lèvres et du vrai de son cœur : quand il ne restera ni cendre ni poussière de cette malheureuse réalité terrestre dont nous faisons absurdement tant de cas, alors même que nous sommes déjà de taille nous-mêmes à en faire éclater la coquille !
L'heure divine dont il est tellement impossible de ne pas savoir qu'elle est venue sur nous, est à présent tellement proche, depuis le temps qu'elle avance avec le temps, tellement avancée, et son unique perspective est si formidablement ouverte où toutes autres sont fermées, qu'on devrait en fondre de joie, en se voyant, dans l'Oméga, les frères mêmes des saints apôtres de l'Alpha ! C'est dans le comble triomphal de la Rome païenne, en effet, au comble surévident de son impériale puissance, tout entouré de ses gendarmeries et recherché déjà par ses polices que, dans son nid de pauvreté, le Christ, par l'humble extrémité de la naissance humaine, a choisi d'apparaître pour tout changer. Pour tout sauver. Et maintenant, il ne nous reste plus beaucoup à attendre pour que le monde triomphal ait mis décidément le comble à son triomphe : tout va décidément assez vite pour cela. A peine a-t-on peut-être encore le temps de se demander sérieusement, en voyant cette fois avec les yeux de la raison que le temps ne va pas plus loin, si oui ou non notre foi en est une, ou si nous ne pensions pas doucettement que Dieu finirait bien par se contenter de ce que nous croyions croire, au lieu de croire absolument.
C'est le moment.
Le combat de la fin du monde est une bataille, comme la foi, qui réclame des hommes entiers. C'est aussi sur des hommes entiers que s'étend le règne de Dieu, entièrement, depuis toujours. Ceux qui veulent se retailler une image d'eux-mêmes plus conforme à leurs idées, très bien pour eux tant qu'ils peuvent s'y tenir ; mais après, ils vont quand même se rejoindre dans leurs rognures…
Et factum est.
Genèse de l'ouvrage (Armel Guerne)
Genèse de l'ouvrage (Armel Guerne) thomasCes quelques extraits de lettres adressées par Guerne au Père Claude Jean-Nesmy qui assurait la production du livre mettent en lumière le travail du poète qui considérait ces textes parmi les plus importants de sa création.
- Lettre du 4 juin 1966
- Lettre du 8 décembre 1966
- Lettre du 9 janvier 1967
- Lettre du 20 février 1967
- Lettre du 19 avril 1967
- Lettre du 6 août 1967
Une fois encore, j'en suis certain, les langues ont à parler sous le ciel où chantent les anges, quand sur la terre, déjà, presque personne ne les entend plus ; et la langue française plus que toute autre, assurément, non seulement parce qu'elle est la dernière héritière de la cascade de l'hébreu au grec, et du grec au latin, mais aussi, mais surtout parce qu'elle est déjà une langue morte un peu partout en France, et chez ceux qui l'écrivent en particulier. Feu la langue française, cette langue de feu ! - Un langage armé, une langue habitée, c'est le vrai moment : le dernier. Je voudrais aussi qu'il y ait quelques proses, que j'attends, dont une qui ferait la différence entre le mystère et l'énigme, expliquant pourquoi l'âme, tissée de crainte et d'épouvante et n'ayant son remède que dans l'amour, laisse l'intelligence s'affairer à déchiffrer et résoudre l'énigme parce qu'elle est incapable d'épouser le mystère. Je crois que sur l'Apocalypse, tout est dit dans l'Apocalypse, et notamment qu'il faut manger le petit livre ouvert, avaler toutes ses images telles quelles, sans prétendre les expliquer comme des symboles chargés et surchargés de significations, afin que leur vie toute crue agisse à notre insu sur et dans notre vie : cette vie qui est tout ensemble bien plus petite que ce que nous la voyons, et infiniment plus grande que ce que nous la croyons être. Sa douceur sur la langue et sa virulence dans l'estomac, j'ai déjà éprouvé qu'elles pouvaient l'être dans les deux sens : sucrée à prendre, amère à avoir et à digérer ; amère à connaître et douce à dire, à exprimer, à vivre en fonction de la Gloire, à porter comme un premier éclat de l'éternité. Ce qui fait la lâcheté des hommes, ce n'est pas la peur ; c'est la peur qu'ils ont d'avoir peur, par égoïsme et par orgueil. Je sens bien que les saints ont connu, vécu les pires épouvantes, mérité les meilleures consolations qui sont aussi les plus sûres et les plus actives consolidations.
Quant aux évidences de l'Aujourd'hui, elles sont si évidentes que mon seul embarras n'est que celui du choix : il y a tout à voir et à entendre dans ce que les autres – et surtout les grands de ce monde – ne voient pas, n'entendent point. Tout à dire, avec ce seul et même cri de l'enfant qui naît en quittant l'innocence et de l'agonisant qui meurt pour, peut-être, la retrouver : ce même faible soupir des enfants de Dieu, quand ils ont assez peur pour n'avoir plus à craindre d'avoir peur, ni à le redouter.
4 juin 1966
Je vous ai expédié – enfin ! – ce matin le manuscrit des Jours de l'Apocalypse (avec les photos) et je suis très anxieux, comme vous pouvez l'imaginer, de savoir ce que vous en pensez. […]D'un côté, je crois avoir écrit là ce que j'ai fait de meilleur ; mais de l'autre côté, cela me paraît tellement pâle à comparer avec les océans de feu sur lesquels je navigue depuis 6 mois…Je peux vous dire, en tout cas, que j'y ai mis toutes mes forces jusqu'à l'exténuement, ce qui m'a valu parfois de singuliers secours de grâce (sans parler d'un miraculeux enrichissement intérieur.)
[…] Et je me sens tout à coup très veuf depuis que je n'ai plus devant moi que des livres à ranger et des papiers à remettre en ordre. Je voudrais tellement, tellement que ce soit un bon travail ! Et que ce titre porte efficacement sa semence spirituelle ; qu'il ait une richesse, une somptuosité généreuses dans sa démarche publique ; que l'élan du langage ajoute de la vie à ce qu'il peut y avoir de statique ou de trop sage dans les images, par ailleurs étonnantes quand on "entre dedans" comme j'ai eu, moi, l'occasion de le faire si longuement, si silencieusement.
8 décembre 1966
[…] Je viens de passer six mois dans ce travail, absorbé nuit et jour, poussant l'effort à la limite de mes forces (le médecin que j'ai du faire venir, depuis, me soigne pour le surmenage et l'épuisement général) et tout au long de ces mois, de jour en jour, ma volonté et mon effort ne visaient que l'ouverture finale et le champ de gloire de cette 3e partie. Le reste, bien sûr, a été écrit, réécrit, coupé, recomposé, repris encore, serré, resserré, et mon cabinet de travail ressemble toujours à un champ de bataille, même à présent que la plupart des livres sont rangés, avec tous ses papiers épars, les ébauches et les versions successives mais tout cela convergeait sur ce seul point final : l'essentiel, qui est, finalement, ce dont on ne peut pas parler. Je me suis heurté, de toutes les manières, a un manifeste interdit qui me barrait déjà même les voies d'accès les plus éloignées, les plus indirectes. Passer outre eût été se précipiter dans la littérature, et vous savez sans doute que si j'ai une raison d'être sur terre, c'est bien pour refuser de tout mon être une déchéance et une infamie qui deviendraient criminelles à côté de saint Jean, dont chaque mot est à la fois un mystère et un sacrement. Si je suis à peu près certain d'avoir su véritablement, à la fin, OBEIR, c'est justement dans la mesure où j'ai tant essayé, échec après échec, refus après refus, de suivre encore mon propre mouvement, qui répondait comme le vôtre aux perspectives que nous voyons dans l'Apocalypse, dont les visions descendent toutes du trône divin et de la cour céleste sur la terre. Mais celle que nous vivons, nous, maintenant, sur la terre, s'incarnent temporellement et avec une précision absolue, à l'inverse absolu. D'où nous sommes - si nous le voyons - il ne nous est peut-être plus permis de parler relativement de Dieu, quand nous allons à Lui absolument, ni surtout d'un ciel nouveau et d'une terre nouvelle que nous sommes si près de connaître, mais dont nous ne savons rien tant que le premier ciel et la première terre n'ont pas disparu, et tant que la mer qui avait été, n'est plus. Le fait est, en tout cas, que le texte saint le marque avec une rare insistance quand il reprend, au chapitre XXI : "Et moi, Jean, je vis la sainte cité, la nouvelle Jérusalem" c'est-à-dire que c'est à lui que cette vision a été confiée pour nous la montrer, à nous, qui ne pouvons que la recevoir, et la recevoir de lui seul. Il me paraît qu'il y a de l'impiété et du mensonge à vouloir ou prétendre montrer quoi que ce soit à sa place, à notre tour, et hors de ses paroles, qui sont les seules sur lesquelles on puisse se fonder tant qu'on n'a pas la vision elle-même.
En outre, il me paraît impensable que quelqu'un puisse se permettre - quand il aura paru - de regarder ce volume des Jours de l'Apocalypse sans relire au moins à ce moment-là, soigneusement, les XXII chapitres du texte même. L'ouvrage dont peuvent se charger mes poèmes et mes proses n'est pas de parler de l'Apocalypse, mais des Jours de l'Apocalypse, avec la tâche suprême de faire valoir que ces jours-là sont les nôtres. N’est-ce pas ainsi que vous le voyez ? J'ajouterai que je n'écris évidemment pas pour vous, qui avez le bonheur d'être des serviteurs au service de Dieu, mais pour le monde, qui est positivement dans une telle capilotade spirituelle, et avec un langage si affaissé, qu'on ne peut guère s'autoriser à lui parler de Dieu, et de l'amour de Dieu, et de la gloire de Dieu, directement ou indirectement, que si l'on n'use plus que de langues de feu ; autrement, il retourne, quand il en a, à sa religion qui ne le rattache à rien, sinon à de vagues habitudes totalement désertes d'amour, vides d'expérience réelle et séparées de toute connaissance. On ne peut pas se fier à son intelligence, ni encore moins à son esprit ; mais je fais confiance à son âme : et c'est pourquoi je n'ai rien avancé qui ne soit venu d'une réelle expérience "en ce monde", "de ce monde", et qui le pousse autant que possible vers Dieu. Il n'y a pas un mot, dans les poèmes ou dans les proses, qui ne soit avant tout armé contre un mauvais emploi, un effet détourné ; et il me semble qu'une grande grâce m'a été donnée, tout au long, - une grâce de charité vivante - pour qu'il y ait une telle et si profonde tendresse par-dessous, d'autant plus constamment efficace quelle est plus constamment cachée, insaisissable et agissante, inexprimée et véridique. […]
Au surplus, maintenant, ce serait désamorcer de sa force vive chacun des poèmes et chaque ligne des proses, que d'essayer de peindre ou de suggérer ce qu'ils regardent avec une fixité et une intensité qui doit, qui devrait, en tout cas, y conduire chaque lecteur. Je suis convaincu que ce n'est pas, à l'heure qu'il est, un service à rendre aux hommes dans leur impuissance, que de leur mâcher plus ou moins une nourriture qu'ils doivent manger eux-mêmes : il faut leur apprendre leur faim.
Mais comme vous avez entièrement raison quant au fait indéniable de la lacune énorme ; et comme il faut une solution, alors que je m'avoue assez vraisemblablement incapable de la combler formellement, je vous propose de commencer le SENS DES IMAGES ET DES TEXTES, à la fin du volume, par l'aveu de cette lacune (reconnue expressément par le verset mis en exergue) et par la recommandation faite à tout lecteur de revenir d'abord au texte de l'Apocalypse, en notant pour lui que tout, en effet, est centré et part de la vision rayonnante du ciel, du trône divin, de la cour céleste, de la Ville-Dieu, l'histoire passant tout entière par le moment "éternel en soi" de la Mère revêtue du soleil, la Femme qui met au monde l'Enfant mâle, que le dragon voulait dévorer, et qui doit gouverner toutes les nations avec un sceptre de fer.
Oh ! non, je ne refuse pas de remettre en travail ce travail, pour ce qui est de moi ; mais je suis presque sûr, parce que ces mois intenses de méditation m'ont appris tant de choses, que non seulement je ne serai pas capable de le faire, mais que probablement je ne pourrai que tout gâcher. Une seconde fois, au chapitre XXII, il est écrit : "C'est moi Jean qui ai entendu et qui ai vu toutes ces choses"(8) et plus loin, v. 11 : "Que celui qui commet l'injustice la commette encore : que celui qui est souillé se souille encore : que celui qui est juste se justifie encore : et que celui qui est saint se sanctifie encore. " Aucun de ceux-là n'a réellement besoin de rien d'autre que de la vision dont saint Jean nous donne l'image, ou alors seulement qu'on la lui rappelle, personnellement, comme je vous propose de le faire dans les premières lignes de la Note finale. Si je devais parler de l'Apocalypse, je pourrais écrire des pages et des pages, maintenant. Je n'ai pas non plus parlé des 2 témoins, ni du Silence dans le ciel, ni de la conversion des Juifs, ni de tant d'autres choses. Mais je crois entendre déjà les 200 millions de cavaliers fourbir chez Mao le harnachement de leurs montures avec leurs queues qui tuent et leurs gueules qui crachent le feu. Je n'ai rien dit du petit livre, qu'on doit "manger" comme il l'a été, et non pas expliquer, ou chercher à comprendre.[…]
9 janvier 1967
[…] Personnellement, je n’aime pas cette prose (Factum est) qui a pris un ton moins ample que les autres et qui ne me paraît pas indispensable; de plus, je crois qu’une amputation massive est beaucoup plus saine à l’esprit qu’une série de changements qui sont, je vous l’ai dit, parfaitement légitimes à chaque fois, dans chaque cas particulier, mais qui, du fait que néanmoins ils portent sur l’ensemble, risquent de désaccorder tout l’orchestre secret des différents registres mis en œuvre au moins pour ébranler, sinon pour franchir à coup sûr, l’inertie spirituelle qui est la marque de ces temps de la fin: cette mollesse d’âme qui appelle sur elle, parce qu’elle est une faillite de l’amour, les extrêmes sévérités et les menaçantes rigueurs, réappuyées sur la voix rude des prophètes de l’Ancien Testament, que la voix du disciple Bien-Aimé vient mettre, au nom de Dieu, au terme du Testament d’Amour dont il avait écrit le plus doux évangile. Ce qui me frappe, en effet, c’est que l’Apocalypse est faite pour être lue à la fin, depuis ce point ultime des moments de la fin où nous pouvons terriblement nous deviner déjà, nous, maintenant. Placés nous-mêmes dans le temps à la place où Dieu l’a voulue dans les Écritures, c’est-à-dire les derniers, peut-être sommes-nous les premiers à pouvoir apprendre que cette prophétie, qui les reprend toutes dans son miroir, se déchiffre dans l’autre sens et n’est ouverte que sur l’éternité. Peut-être aussi sommes-nous les seuls, si près du Jugement, à pouvoir déjà presque comprendre pourquoi les grandes images libres de la Gloire sont si sévèrement gardées, devant et derrière, par des paroles assez dures et tranchantes qui ne permettent l’espérance qu’à ceux-là seuls qui ont, et qui vivent, l’héroïsme de la foi: ceux qui suivent encore un peu plus loin qu’eux-mêmes le grand élan d’amour dont ils sont les petits-enfants. L’image de la Gloire —parce qu’elle est absolument INIMAGINABLE— a bien pu être, comme elle l’est, mise sous tous les yeux; mais il est clair que ses gardes terribles la réservent aux seuls regards de ceux qui sont toujours capables de trembler de peur devant l’éternité. Elle est matériellement cachée à tous les autres, nos contemporains, qui se sentent au fond d’eux-mêmes des hommes assez grands pour ignorer la crainte.
Et c’est pourquoi le texte me semble avoir sa place nécessaire ou vers la fin, ou pour finir l'action sensible et polémique des paroles profanes, qui n'ont pour elles que d'être humainement actuelles et de viser les cœurs au niveau où ils sont.
20 février 1967
[…] Il faut que j’achève, à présent, le Nerval "à vif" que j'ai en train, avant de replonger dans cette Apocalypse qui, en se révélant toujours plus, déchire à mesure la vie qui la reçoit afin d'y faire entrer les certitudes bien plus grandes qu'elle y apporte. Ce n'est pas le texte, ce n'est pas le travail même qui m'ont tant exténué : c'est le contenu, ou si vous préférez, c'est le chemin spirituel qu'il m'a fallu courir ; et je dois rassembler mes forces afin d'y revenir. […]
Si fort que soit le médecin du corps, ce n'est pas lui qui saura me défatiguer du poids qu'on se met au cœur en contemplant ce qu'on peut voir de la fin des temps. Et il faut avoir le cœur lourd pour bien mourir, non ? […]
Au sujet du poème "666", je crois pouvoir vous dire que cette fin est strictement exacte, les progrès de la "complicité" incriminée s'étendant pesamment comme une boue dans un marécage, comme un poison dans un liquide. C'est une affaire d'eaux basses, et il serait dommage de donner une meilleure assise au souffle du poème, qui doit s'enfoncer. S'il est ce qu'il faut, celui qui le suit devrait prendre peur en soi-même, et prendre froid, en arrivant là. Une terreur salutaire ; un froid qui appelle la chaleur. Mais tout cela n'est peut-être qu'un rêve. Il y a ailleurs bien d'autres rythmes qui prennent des chemins sur lesquels je ne serais jamais allé tout seul. Après, tout ce que je puis dire, c'est que j'y suis allé, en effet. Le paysage étant plus important que le marcheur (qu'il marche bien ou mal) je ne vois pas où trouver une autorité suffisante pour le retoucher, le corriger éventuellement. Il faut d'abord lui obéir, et même mal, c'est encore plus sûr ! Simulacre et contrefaçon de la féminité, de la fécondité, l'antre béant qui s'ouvre avec 666 est un abîme gluant, poisseux comme le sang, grouillant comme lui, pluriel. L'idée du marécage, où personne au monde ne descendra jamais, puisqu'il monte vers nous, et que tout le monde connaît.
19 avril 1967
[…] Quel réconfort que ce livre accompli, assurément inépuisable comme l'Apocalypse elle-même. Jamais je n'ai ressenti aussi cruellement la sanction, le châtiment qui condamne un auteur à ne jamais pouvoir se lire comme le lecteur le lira, à ressentir ce premier choc ; mais au-delà, quand on entre dans les concordances, ah ! quelle musique ! Vous imaginez bien avec quelle curiosité, quelle avidité je l'ai ouvert, puis examiné, puis lu (du bout des yeux en ce qui regarde mes textes, puisque je les connais) les notes, les titres, etc. Depuis, je peux difficilement passer deux heures sans y revenir, le toucher, me caresser l'esprit et le cœur à sa vue, comme quelqu'un qui n'arrive pas à se convaincre de son bonheur. Ce n'est pas un livre, c'est une explosion, capable à la fois d'assourdir ceux qui croient écouter, d'aveugler ceux qui croient voir et de se faire entendre par les sourds, de glisser sa lumière sous les paupières des aveugles. Le langage qu'il faut, qui parle et qui se tait aux bons endroits, dont le silence monte… L'inconvénient des livres d'art, c'est qu'on les admire et puis c'est fini : on est quitte ; on les quitte. Mais celui-ci est d'une autre trempe, qui force et qui dédaigne en même temps l'admiration : on l'admire et tout commence ; on va au bout de l'admiration et c'est toujours sans être quitte, et il faut revenir, y revenir. Je suis certain, mon père, qu'on n'a pas vu depuis très longtemps en France un ouvrage aussi parfait, c'est-à-dire aussi irréprochable sur le plan de la réussite, et néanmoins puissant quant à la dynamique, et capable d'entreprendre un tel travail, de le poursuivre en fait avec une telle et si imparable efficacité qu'il ne vaut que par elle. Il ne reste pas sous les yeux mais devient acte aussitôt : action. De quoi aucun de nous ne saurait se vanter ; mais quelle fierté de savoir qu'on a pu être l'un de ceux qui y ont servi. Je n'ai pas souvent pleuré depuis que j'ai perdu l'enfance, mon père, mais je vous jure que des larmes de reconnaissance ma sont venues, ici, seul dans ma chambre de travail, en y pensant, devant l'irrécusable évidence de ce DON, de son utilité, de sa nécessité, dont l'extraordinaire grandeur est exactement mesurée sur le besoin des jours que nous vivons. Personnellement, j'en suis comblé au-delà de toute attente. Comblé à tous égards. Qui sait si la permission de Dieu ne va pas aller jusqu'à accompagner cette œuvre dans le monde et en faire un succès en dépit de sa qualité ?
6 août 1967
L'Apocalypse, une histoire vécue (Armel Guerne)
L'Apocalypse, une histoire vécue (Armel Guerne) thomasNous avons dépassé le seuil de l’Apocalypse et, à mon avis, on se trompe lorsque l’on veut regarder ou lire l’Apocalypse comme une prophétie ; en réalité on devrait la lire et la comprendre comme une histoire vécue, déjà passée en partie, et au fond de laquelle nous sommes charnellement engagés. C’est ce qui se passe tous les jours. Elle est plus qu’à nos portes, elle est entrée dans notre vie, nous sommes en train de la vivre, absolument.
On néglige toutes les questions spirituelles pour s’occuper de choses tout à fait accessoires, extérieures, qui n’engagent pas le profond de l’existence, et, en fait, nous sommes engagés dans la fin du monde, tout le monde le sait, seulement tout le monde a peur d’y penser. Alors on pense à autre chose. Mais il est important de penser à une chose comme celle-là, à mon avis enfin, d’y réfléchir, de s’y préparer, d’essayer de sauver les valeurs.
Un poète, c’est quelqu’un qui essaie de mettre dans un monde devenu affreusement laid, horriblement égoïste, dur, méchant un peu de tendresse, un peu de beauté, et surtout dans un monde qui est totalement voué au mensonge, possédé par la loi du mensonge, un peu de vérité. Une vérité qui dure, qui commence au ras de la terre et qui va jusqu’au ciel, et qui reste.
Extrait d'un entretien radiophonique