Éditorial (Charles Le Brun)

Éditorial (Charles Le Brun) thomas

Le premier Livre des Métamorphoses d'Ovide est en partie consacré au récit de la création de l'univers. Au second chapitre, on apprend que la durée des jours de la terre se divise en quatre périodes : l'Âge d'Or d'abord, celui de la vérité, de la justice, de la vertu, sans contrainte pour la race humaine ; puis l'Âge d'Argent, déjà soumis aux lois de la nature, aux morsures des saisons, aux décrets du temps ; vient ensuite vint l'Âge d'Airain, pourvoyeur d'armes, instigateur de guerres, assoiffé de sang mais loyal encore ; l'Âge de Fer enfin où le crime et le désordre règnent dans une impunité toujours plus élargie. Ce dernier âge, selon les données de l'ésotérisme, correspond à celui dans lequel entrèrent les hommes, il y a quelque six mille ans, et qui, selon les écrits de toutes les grandes traditions, doit s'achever vers l'an 2030.

Déjà, huit cents ans plus tôt, Hésiode en avait esquissé une fresque saisissante dans Les Travaux et les jours, faisant écho aux grandes prophéties de l'Inde ancienne relatives à l'Âge de Kali ou Âge sombre (1): le Kali-Yuga. La Bible, elle aussi, d'une manière à peine voilée, avait évoqué cette succession des temps dans le Songe de Nabuchodonosor : c'est l'histoire fameuse du Colosse aux pieds d'argile (2). Les anciennes populations d'Extrême-Orient, tout comme les Indiens d'Amérique du Nord ou ceux d'Amérique latine, connurent de même, en leur temps, cette division quaternaire que les limites de cet éditorial, malheureusement, ne nous permettent pas d'aborder en profondeur (3).

Si nous avons parlé des âges de l'humanité et plus particulièrement de l'Âge de Fer, c'est que ce dernier nous renvoie directement au thème de ce Cahier : l'aboutissement de l'histoire des hommes. Son terme. Autrement dit la « fin du monde », cette Apocalypse dont Armel Guerne aura été, tout au long de son existence et avec une insistance toujours plus pressante, l'un des porte-parole autorisés.

Son œuvre poétique, en effet, tout entière tournée vers le Grand Jour, n'enseigne pas autre chose. Au point qu'en ce qui le concerne, on peut risquer le mot de vocation (vocatus : appelé). Chez lui, la poésie n'est plus un ornement : elle est une arme. Celle des derniers combats. Parce que, comme il l'affirme, il n'est plus temps de perdre son temps à d'autres occupations comme c'est le cas de bien des auteurs, tous plus inutiles les uns que les autres et qui n'ont d'autre but que celui d'asseoir le néant de leur futile personne – les zombies, comme il les appelait.

Guerne, à l'évidence, ne partageait pas ce pain-là. Il s'appliquait à autre chose. Il n'est que de lire, pêle-mêle, les titres de ses livres : Mythologie de l'Homme ; Danse des mortsLe Temps des signes ; Testament de la perdition ; Les Jours de l'Apocalypse ; Rhapsodie des fins dernières. Ou encore : La Cathédrale des douleurs ; Au-dessous du niveau de l'enfer ; A Contre monde ; Temps coupable ; Au bout du temps.

L'ensemble est éloquent. Et situe l'homme. Un homme vrai. Sans manières. Sans duplicité. Sans pose. Eprouvé. Epuré. Comme un minerai débarrassé de ses scories et qui surgit, dans sa simplicité originelle, après être passé et repassé à la flamme du réverbère. Ceux qui l'ont connu le savent bien. Et ceux qui l'ont aimé mieux encore.
L'Apocalypse, comme il le répétait souvent, est commencée. Ses effets se sont déjà fait sentir dans des guerres dont l'ampleur dépasse l'imagination. Dans des sciences dont personne ne contrôle plus l'expansion. Dans la complexité toujours croissante des basses manœuvres politiques, économiques, financières et sociales. Dans le recul général de la vertu et des valeurs sur lesquelles reposait le passé tout entier ; valeurs qu'on s'applique minutieusement à éradiquer et qui ne seront plus remplacées si ce n'est par celle qui, partout, doit s'imposer dans les derniers jours du monde : l'argent – le Veau d'or – marqué, comme l'a écrit saint Jean, du signe de la Bête et de son chiffre.

  1. Notamment le Bhâgavata Purana, livre XII.retour
  2. Daniel II, 31 à 46.retour
  3. A ceux qui voudraient en apprendre plus, nous conseillons la lecture des ouvrages de René Guénon et de Gaston Georgel. Entre autres.retour